Pour relever les défis de l’usine du futur, l’entreprise doit inventer de nouveaux dispositifs de collaboration qui favorisent l’ouverture et la créativité. C’est une des recommandations émises par le CIGREF dans une étude qu’a pilotée Jacques-Benoît Le Bris, directeur des systèmes d’information (DSI) de Solvay.

 

« On n’innove pas pour l’entreprise mais pour le client de l’entreprise. Les projets d’innovation doivent avoir, non pas une valeur ROI (retour sur investissement, NDLR) ou être pilotés par des paradigmes d’excellence opérationnelle, mais être guidés par le mieux-être du client de l’entreprise. Si ce n’est pas engendré par la valeur client, on casse l’opportunité de prendre un risque d’innovation qui permettrait un changement de modèle économique de l’entreprise », pose Jacques-Benoît Le Bris, directeur des systèmes d’information (DSI) de Solvay et pilote du Cercle de l’Innovation au sein du Club informatique des grandes entreprises françaises (CIGREF) qui regroupe 140 membres avec pour mission « de développer la capacité des entreprises à intégrer et maîtriser le numérique ».

L’homme, qui insiste ainsi sur la nécessité de casser les schémas traditionnels d’innovation, a piloté le groupe de travail à l’origine du rapport sur l’usine du futur que le CIGREF a publié en janvier dernier.

Pourquoi cette étude sur l’usine du futur se distingue-t-elle?

 Tout d’abord, elle a le mérite d’être synthétique (une vingtaine de pages) et de définir de façon pragmatique un concept que l’on présente comme la quatrième révolution industrielle après la mécanisation, l’industrialisation et l’automatisation : « l’usine 4.0 agrège tout un ensemble de technologies dont la donnée est la matière première : les informations sont captées et numérisées par les objets connectés, stockées (dans le cloud) sur des infrastructures (big data), analysées et transformées (par les algorithmes de machine learning) et rendues exploitables ».

Aussi, elle éclaire les tenants et aboutissants : l’intérêt à mettre en œuvre les technologies numériques (optimiser la production, offrir des solutions enrichies, plus flexibles, plus fiables et compétitives…), les défis technologiques qu’elles posent (notamment, les objets connectés, la réalité augmentée et les « cobots », ces robots collaboratifs) les modifications dans l’organisation de l’entreprise qu’elles engendrent (en particulier dans les processus d’innovation et de collaboration), et les nouvelles compétences qu’elles supposent (digital officier, data scientists, analystes, statisticiens …). Ce que Bernard Duverneuil, président du CIGREF depuis octobre 2016, résume par : « Former les talents numériques de demain ET former les talents de demain au numérique ».

Cas concrets et retours d’expérience

Ensuite, chaque domaine technologique est étudié sur le plan de ses apports (surveillance en temps réel des installations et de la productivité, anticipation des pannes…), de ses conditions d’intégration dans l’entreprise et de ses valeurs ajoutées (notamment par le traitement et l’exploitation des données générées).

L’ensemble est servi par des cas concrets, retours d’expériences, initiatives récentes, ce qui pour des dirigeants pressés facilitent l’assimilation et offrent un champ d’applicatifs possibles.

Pour Jacques-Benoît Le Bris, l’Usine du futur n’est pas qu’une simple intégration de technologies mais engendre un véritable changement d’esprit : « Pour amorcer cette transformation, l’entreprise doit sortir de son écosystème habituel en évoluant vers une approche plus collaborative, associant des acteurs internes (DSI, d’autres métiers de l’entreprise) et des partenaires externes (startups, clients, fournisseurs, incubateurs, spin off…) et adopter de nouvelles méthodes de travail qui favorisent l’ouverture et le partage d’information tels des fablabs… ».

Une histoire d’argent ?

« Il ne s’agit pas d’allouer un budget. On trouvera l’argent quand il y aura une bonne idée. L’idée est d’abord de créer une zone de liberté au sein de l’entreprise, ouverte à différentes parties prenantes, pour mobiliser tous les ressorts de l’innovation et rompre avec les orthodoxies de nos métiers. Il faut ensuite se donner le temps de l’expérimentation, passer au « fail fast » (se donner le droit à l’erreur mais corriger rapidement, NDLR). Ce n’est pas évident car dans le milieu industriel, depuis 30 ans, tous les opérateurs ont été formés à une politique de qualité de type BPC (bon du premier coup, NDLR) ».

Partage des données, vraiment ?

Reste un obstacle de taille à lever, que le CIGREF aborde peu dans son étude, ou du moins du point de vue de la recommandation : le partage des données qui heurte toujours les entreprises pour des raisons de propriété intellectuelle et de sécurité. « Levier de l’innovation ouverte, le partage des données est destiné à mobiliser cette intelligence et surtout la créativité collective », insistent les auteurs du rapport.

Cette année, le club des grandes entreprises consacrera ses cycles de réunions sur « l’innovation en action », pour permettre à ses membres « d’être en avance de phase sur ce qui se fait dans les écosystèmes d’innovation numérique ».

A.D

*Les fablabs sont des ateliers de fabrication collaboratif et numérique qui regroupe un ensemble de machines et des équipements plus avancés tels que des imprimantes 3D.

 


 

Comment Bosch, SNCF, Engie ont exploité certaines technologies  

 

Chez Bosch Rexroth, qui conçoit des joysticks et des distributeurs hydrauliques, un groupe de travail pluridisciplinaire s’est constitué autour de la question : « qu’est-ce que l’Usine du futur pour vous ? » qui a fait émerger 10 idées et une nouvelle méthode de travail. À chaque idée a été associé un sponsor et une équipe afin « d’incuber » et d’organiser le projet. Plusieurs applications ont émergé de cette réflexion dont la plus aboutie est « Smart Eyes », qui couplé à des lunettes intelligentes Google Glass, a permis de réduire de 80 % le temps administratif et diviser par deux la durée du contrôle.

La SNCF exploite d’ores et déjà les technologies cloud et les applications de big data pour leur capacité d’analyse et de supervision des données en temps réel. Les projets de trains connectés s’inscrivent dans cette optique avec un triple enjeu : être performant, rapide et efficace afin de réduire le temps d’immobilisation (maintenance prédictive). L’entreprise publique entend aussi faire de l’ouverture des données un accélérateur d’innovations au service de la mobilité de tous (usager mieux informé et de façon plus personnalisée).

ENGIE a initié en 2015 un projet en mode PoC (preuve du concept) sur la digitalisation de la vente indirecte via la mise à disposition de 220 tablettes et applicatifs dédiés, qui se serait soldé « par une forte augmentation des volumes, une diminution des coûts liés aux contrôles du service client et une sécurisation de la rémunération des vendeurs ».

 

 

 

Pour relever les défis de l’usine du futur, l’entreprise doit inventer de nouveaux dispositifs de collaboration qui favorisent l’ouverture et la créativité. C’est une des recommandations émises par le CIGREF dans une étude qu’a pilotée Jacques-Benoît Le Bris, directeur des systèmes d’information (DSI) de Solvay.

 

« On n’innove pas pour l’entreprise mais pour le client de l’entreprise. Les projets d’innovation doivent avoir, non pas une valeur ROI (retour sur investissement, NDLR) ou être pilotés par des paradigmes d’excellence opérationnelle, mais être guidés par le mieux-être du client de l’entreprise. Si ce n’est pas engendré par la valeur client, on casse l’opportunité de prendre un risque d’innovation qui permettrait un changement de modèle économique de l’entreprise », pose Jacques-Benoît Le Bris, directeur des systèmes d’information (DSI) de Solvay et pilote du Cercle de l’Innovation au sein du Club informatique des grandes entreprises françaises (CIGREF) qui regroupe 140 membres avec pour mission « de développer la capacité des entreprises à intégrer et maîtriser le numérique ».

L’homme, qui insiste ainsi sur la nécessité de casser les schémas traditionnels d’innovation, a piloté le groupe de travail à l’origine du rapport sur l’usine du futur que le CIGREF a publié en janvier dernier.

Pourquoi cette étude sur l’usine du futur se distingue-t-elle?

 Tout d’abord, elle a le mérite d’être synthétique (une vingtaine de pages) et de définir de façon pragmatique un concept que l’on présente comme la quatrième révolution industrielle après la mécanisation, l’industrialisation et l’automatisation : « l’usine 4.0 agrège tout un ensemble de technologies dont la donnée est la matière première : les informations sont captées et numérisées par les objets connectés, stockées (dans le cloud) sur des infrastructures (big data), analysées et transformées (par les algorithmes de machine learning) et rendues exploitables ».

Aussi, elle éclaire les tenants et aboutissants : l’intérêt à mettre en œuvre les technologies numériques (optimiser la production, offrir des solutions enrichies, plus flexibles, plus fiables et compétitives…), les défis technologiques qu’elles posent (notamment, les objets connectés, la réalité augmentée et les « cobots », ces robots collaboratifs) les modifications dans l’organisation de l’entreprise qu’elles engendrent (en particulier dans les processus d’innovation et de collaboration), et les nouvelles compétences qu’elles supposent (digital officier, data scientists, analystes, statisticiens …). Ce que Bernard Duverneuil, président du CIGREF depuis octobre 2016, résume par : « Former les talents numériques de demain ET former les talents de demain au numérique ».

Cas concrets et retours d’expérience

Ensuite, chaque domaine technologique est étudié sur le plan de ses apports (surveillance en temps réel des installations et de la productivité, anticipation des pannes…), de ses conditions d’intégration dans l’entreprise et de ses valeurs ajoutées (notamment par le traitement et l’exploitation des données générées).

L’ensemble est servi par des cas concrets, retours d’expériences, initiatives récentes, ce qui pour des dirigeants pressés facilitent l’assimilation et offrent un champ d’applicatifs possibles.

Pour Jacques-Benoît Le Bris, l’Usine du futur n’est pas qu’une simple intégration de technologies mais engendre un véritable changement d’esprit : « Pour amorcer cette transformation, l’entreprise doit sortir de son écosystème habituel en évoluant vers une approche plus collaborative, associant des acteurs internes (DSI, d’autres métiers de l’entreprise) et des partenaires externes (startups, clients, fournisseurs, incubateurs, spin off…) et adopter de nouvelles méthodes de travail qui favorisent l’ouverture et le partage d’information tels des fablabs… ».

Une histoire d’argent ?

« Il ne s’agit pas d’allouer un budget. On trouvera l’argent quand il y aura une bonne idée. L’idée est d’abord de créer une zone de liberté au sein de l’entreprise, ouverte à différentes parties prenantes, pour mobiliser tous les ressorts de l’innovation et rompre avec les orthodoxies de nos métiers. Il faut ensuite se donner le temps de l’expérimentation, passer au « fail fast » (se donner le droit à l’erreur mais corriger rapidement, NDLR). Ce n’est pas évident car dans le milieu industriel, depuis 30 ans, tous les opérateurs ont été formés à une politique de qualité de type BPC (bon du premier coup, NDLR) ».

Partage des données, vraiment ?

Reste un obstacle de taille à lever, que le CIGREF aborde peu dans son étude, ou du moins du point de vue de la recommandation : le partage des données qui heurte toujours les entreprises pour des raisons de propriété intellectuelle et de sécurité. « Levier de l’innovation ouverte, le partage des données est destiné à mobiliser cette intelligence et surtout la créativité collective », insistent les auteurs du rapport.

Cette année, le club des grandes entreprises consacrera ses cycles de réunions sur « l’innovation en action », pour permettre à ses membres « d’être en avance de phase sur ce qui se fait dans les écosystèmes d’innovation numérique ».

A.D

*Les fablabs sont des ateliers de fabrication collaboratif et numérique qui regroupe un ensemble de machines et des équipements plus avancés tels que des imprimantes 3D.

 


 

Comment Bosch, SNCF, Engie ont exploité certaines technologies  

 

Chez Bosch Rexroth, qui conçoit des joysticks et des distributeurs hydrauliques, un groupe de travail pluridisciplinaire s’est constitué autour de la question : « qu’est-ce que l’Usine du futur pour vous ? » qui a fait émerger 10 idées et une nouvelle méthode de travail. À chaque idée a été associé un sponsor et une équipe afin « d’incuber » et d’organiser le projet. Plusieurs applications ont émergé de cette réflexion dont la plus aboutie est « Smart Eyes », qui couplé à des lunettes intelligentes Google Glass, a permis de réduire de 80 % le temps administratif et diviser par deux la durée du contrôle.

La SNCF exploite d’ores et déjà les technologies cloud et les applications de big data pour leur capacité d’analyse et de supervision des données en temps réel. Les projets de trains connectés s’inscrivent dans cette optique avec un triple enjeu : être performant, rapide et efficace afin de réduire le temps d’immobilisation (maintenance prédictive). L’entreprise publique entend aussi faire de l’ouverture des données un accélérateur d’innovations au service de la mobilité de tous (usager mieux informé et de façon plus personnalisée).

ENGIE a initié en 2015 un projet en mode PoC (preuve du concept) sur la digitalisation de la vente indirecte via la mise à disposition de 220 tablettes et applicatifs dédiés, qui se serait soldé « par une forte augmentation des volumes, une diminution des coûts liés aux contrôles du service client et une sécurisation de la rémunération des vendeurs ».