Mobilisation générale en faveur de l’industrie. Début octobre, le gouvernement a donné naissance à un nouveau label dans la famille du « made in France » : le French Fab, espérant rééditer le succès de la French Tech qui a gagné le pari de la visibilité internationale. Dans le même temps, les organisations représentant les intérêts du secteur s’alignent. Quant aux filières, elles disposent désormais d’une feuille de route Industrie du futur. Revue.
À défaut de retrouver son dynamisme qui a fait ses « Trente Glorieuses », l’industrie recouvre un peu de lumière pour l’instant médiatique. Et dans un contexte sensible (rapprochement entre Alstom et Siemens dans le secteur ferroviaire, rachat de la moitié du capital des chantiers navals de Saint-Nazaire par l’Italien Fincantieri qui font débat), les annonces sonnent déjà comme des promesses.
Ces dernières semaines, les initiatives en faveur de l’industrie ont rythmé l’agenda médiatique. Il fut question de « réindustrialiser la France », de « doubler le nombre des entreprises de taille intermédiaire » (ETI, ces sociétés si rares en France qui emploient entre 250 et 5 000 salariés et réalisent un chiffre d’affaires allant jusqu’à 1,5 milliard d’euros) de façon à créer un « Mittelstand » à la française, en référence à ce puissant réseau des 11 000 ETI allemandes, alors que l’Hexagone en compte à peine 5 000 ETI en France dont 1 000 qui appartiennent à un grand groupe. Il a été également annoncé un plan global (réformes fiscales, actions de formation et création d’accélérateurs dans les régions) en soutien aux filières industrielles.
Nouveau label porte-étendard de l’industrie française
Mais l’opération la plus remarquée fut sans doute le lancement début octobre par le ministre de l’Économie Bruno le Maire, d’un nouvel outil de « soft power », nouveau-né dans la famille du made in France : le French Fab, jumeau de celui au succès planétaire « French Tech » dans le numérique, qui a gagné le pari de la visibilité internationale et du moins connu « French touch » dans le luxe.
Symbolisé par le même coq gaulois en origami mais cette fois bleu (en écho au coq rouge 2.0 de la French Tech), cette marque portée par Bpifrance mais qui doit être gérée par un groupement d’intérêt économique avec l’État, les régions, l’Alliance industrie du futur et France industrie, pourra être attribuée aux entreprises incarnant l’élite de l’industrie française. C’est-à-dire innovantes, responsables socialement, au jeu collectif, digitalisées, internationalisées … ou qui s’engagent à s’insérer dans ce cercle vertueux.
L’ambition est qu’à terme ce label coiffe une énorme fabrique à ETI comme la French Tech est parvenue à l’être pour les start-up et devienne la vitrine l’élite industrielle française à l’international. Elle aura une première occasion de l’exprimer lors du salon de l’industrie de Hanovre en avril 2018 où un stand sous étendard French Fab sera déployé.
Des accélérateurs « régionaux »
Le label sera également, comme pour la French Tech, décliné en régions ou en métropoles via la création d’accélérateurs « régionaux » dans des filières industrielles sur le modèle de celui créé par Bpifrance avec le Gead (Groupe des équipements aéronautiques et de défense) et le Gifas (Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales) pour permettre à 60 entreprises du secteur aéronautique et spatial de bénéficier pendant 18 mois d’un accompagnement sur-mesure. Selon la banque publique, 25 % de ses financements, soit 5 Md€, seraient déjà concentrés vers l’industrie.
Un premier accélérateur dans les Pays de la Loire a été lancé à Nantes tandis que ceux de Nouvelle Aquitaine et d’Auvergne-Rhône-Alpes sont en cours d’installation.
Alignement des parties prenantes de l’industrie
Parallèlement, plusieurs « corps » représentatifs de l’industrie ont choisi ce moment (hasard ou coïncidence car l’annonce a eu lieu au moment du lancement officiel de la French Fab) pour créer France industrie afin de regrouper sous un même drapeau le Cercle de l’industrie (40 grandes entreprises industrielles privées et publiques) et le Groupe des fédérations industrielles (18 fédérations et unions professionnelles adhérentes au Medef, l’Union des industries chimiques, celle de la métallurgie, celle du pétrole etc., soit selon le GFI, 95 % de l’industrie nationale, en particulier des PME).
Objectif : parler d’une même voix auprès des pouvoirs publics. La nouvelle organisation prendra effet début 2018 et sera présidée par Philippe Varin (qui présidait le Cercle de l’Industrie, ancien patron de PSA, passé par Pechiney et Corus, et président actuel du conseil d’administration d’Areva).
En se rassemblant, les industriels espèrent avoir plus de portée dans leurs revendications mais surtout s’exprimer au sein d’une filière « puissante et mieux structurée » à l’image de leurs homologues outre-rhins et transalpins, le Bundesverband der Deutschen Industrie (BDI) allemand ou la Cofindustria italienne.
À chaque secteur industriel, sa feuille de route
Philippe Darmayan, l’actuel président du GFI (et d’ArcelorMittal en France), est aussi le président de l’Alliance industrie du futur (AIF). Cheville « ouvrière » créée mi-2015 dans le cadre du plan gouvernemental Industrie du futur, elle réunit notamment les organisations professionnelles de l’industrie et du numérique et « vise à fédérer, à accélérer et à transformer l’outil industriel français ».
L’AIF, le GFI et le Cercle de l’Industrie sont toutes les trois à la manœuvre d’une initiative, celle-là plus opérationnelle, d’une étude commandée auprès d’Accenture, EY et Roland Berger en vue de faire ressortir les opportunités de
déploiement de l’industrie du futur pour six filières sectorielles majeures en France : l’aéronautique, l’automobile, le ferroviaire, l’agroalimentaire, la construction et le naval. Et ainsi, permettre aux parties prenantes de chacun d’entre elles de disposer une feuille de route (cf. plus bas).
Comment se porte l’industrie ?
On le sait : le secteur ne représente « plus » que 12 % du PIB contre 16,5 % il y a 15 ans. Dans le même temps, l’industrie a perdu un million d’emplois. En Allemagne, cela fait 20 ans, d’après la direction générale du Trésor, que la contribution au PIB est stabilisée à 22,2 %.
Pour autant, en France, l’industrie représenterait 80 % de l’investissement en R&D et 75 % des exportations.
Selon l’étude commandée par l’AIF, le ROCE (rentabilité des capitaux investis ou employés après impôts) « est sous-critique du fait d’un manque de profit, d’un sous-investissement (de 60 Md€) et d’un outil obsolète » (âge moyen de 19 ans). La marge des entreprises, elle, s’est réduite de 65 % depuis 2000.
Toutefois, selon des données publiées récemment par le cabinet Trendeo, pour la première fois depuis 2009, les ouvertures de sites industriels sur les 8 premiers mois de l’année ont été nettement plus nombreuses que les fermetures en France.
Le rétablissement tiendrait toutefois plus à la diminution du nombre des fermetures (61) qu’à la création d’entreprises (87).
Aussi les usines nouvelles seraient-elle légèrement moins capitalistiques, avec un montant moyen de 10 M€ sachant que l’investissement moyen par emploi est à la hausse, mais le nombre d’emplois moyen, plus faible.
En PACA, la part des emplois industriels en France est tombée de 20 à 10 % entre 1990 et 2017 (source Insee). En septembre, l’activité industrielle enregistrait un tassement. Mais au final, le carnet de commandes demeure au-delà de son point d’équilibre. Le taux d’utilisation des capacités de production était en recul de 5 points à 80 %, soit un niveau proche de sa moyenne de longue période.
Les sceptiques, les apprentis, les conquérants
Plus inquiétant, le tableau de la digitalisation des PME et des ETI françaises.
Pour son étude, à peine publiée, « Histoire d’incompréhension : les dirigeants de PME et ETI face au digital », Bpifrance a sondé 1 618 dirigeants. 87 % d’entre eux ne font pas de la digitalisation une priorité stratégique. 47 % considèrent que l’impact du digital ne sera pas majeur sur leur activité dans les cinq années qui viennent. Selon la classification Bpifrance, il y aurait 38 % de sceptiques (ils ne croient pas à la révolution digitale ou demandent encore à en être convaincus), 56 % d’apprentis (ils ont compris l’importance de la transformation digitale mais ils doivent structurer leur projet) et 10 % de conquérants (ils sont pleinement engagés dans un projet transformation).
— Adeline Descamps —
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Industrie du futur, suivez le guide
Grâce à l’étude commanditée par l’AIF (119 pages avec les annexes), six filières industrielles (aéronautique, construction, ferroviaire, automobile, naval, agroalimentaire) disposent d’une feuille de route de déploiement de l’industrie du futur avec pour chaque enjeu identifié, les solutions que l’industrie du futur peut offrir à court, moyen et long terme, exemples d’entreprises à l’appui.
Au rang des conclusions : les technologies de base de l’industrie du futur sont jugées très pertinentes dans l’ensemble des filières étudiées. Cependant, les solutions doivent être spécifiques et adaptées aux enjeux, ce qui nécessite encore beaucoup d’innovations afin de stabiliser des solutions pérennes.
Les grandes entreprises de chaque filière ont lancé de nombreux POC et pilotes avec une certaine maturité sur le sujet, mais elles se heurtent encore à des lenteurs dans le déploiement et dans l’obtention de retours économiques globaux.
Cependant, les implications sociales (compétences, emplois, mode de travail), les transformations I&T et les évolutions des organisations et processus, sont encore peu présentes à leur agenda.
Quant aux ETI et PME, elles sont assez décalées par rapport aux têtes de filières, et encore dans le syndrome « pas pour moi ici ».
« Or les grands donneurs d’ordre ont besoin que l’ensemble des acteurs, fournisseurs et partenaires suivent la tendance pour réussir. L’approche par filière est donc critique pour réussir la transformation, et doit permettre de se mobiliser autour des trois volets (solutions / adoption / humain) de la transformation », indiquent les auteurs du rapport (Accenture, EY et Roland Berger).