Le pôle photonique et imagerie Optitec et le réseau des industries créatives et numériques Primi ont organisé une journée sur la réalité virtuelle et augmentée le 11 mai dernier. Avec les retours d’expérience de grands groupes industriels. Un événement auquel s’est associée TEAM Henri-Fabre.
Qu’elle soit virtuelle ou augmentée – les deux notions ne renvoient pas tout à fait à la même technologie*‑, la réalité ne repose pas encore tout à fait sur un marché réel pour les entreprises. Du moins pour les plus petites d’entre elles. Si les grandes entreprises sont plus expérimentées, elles en sont néanmoins encore à la phase « prototypage », avançant de tests en tâtonnements, prudemment, en attendant que les technologies s’affinent. Avec néanmoins dans le viseur : tirer le plus grand profit de ces technologies immersives pour simplifier et optimiser leur process industriels.
C’est ce qu’a finalement démontré la table ronde organisée le 11 mai dernier par le pôle photonique et imagerie Optitec et le cluster spécialisé dans les industries créatives et numériques Primi. Un événement auquel se sont associés de nombreux partenaires dont Team Henri-Fabre, les pôles de compétitivité SCS, Mer Méditerranée, Safe Cluster, Capernergies, les clusters Imaginov, TVT innovation, ou encore Aix Marseille French Tech…).
« L’association avec le réseau Primi nous a semblé une approche fertile pour générer de nouvelles innovations », a introduit Jérôme Lopez, directeur adjoint du Pôle Optitec, pour justifier le croisement des deux écosystèmes sur ces thématiques
« Nous proposons depuis deux ans des masterclasses et des conférences sur la réalité virtuelle anticipant de nouveaux usages. Le Primi entend contribuer à la constitution d’un nouvel écosystème dans ces domaines, défend pour sa part Marianne Carpentier, la présidente du PRIMI récemment élue, qui « veut mettre en relation ceux qui créent du contenu en réalité virtuelle et/ou augmentée avec le monde industriel ».
« La réalité, virtuelle et augmentée, est au cœur des préoccupations actuelles. Il suffit de réaliser une revue de presse pour constater l’effervescence autour de ces technologies. Les produits se développent et se démocratisent pour le grand public et apparaissent pour les entreprises. Les salons et meetings ciblés se multiplient. D’autres marqueurs, comme les levées de fonds ou les rumeurs autour de la R&D de Google, Facebook, Apple, sont aussi révélateurs », contextualise Antoine Morice, maître de conférence à l’Institut des Sciences du mouvement Etienne-Jules Marey, une unité mixte de recherche (de 150 chercheurs) associant Aix-Marseille Université et le CNRS, notamment connu pour sa plateforme technologique, le Centre de réalité virtuelle de la Méditerranée, unique en France.
DCNS : Une expérience de 10 ans
« Il s’agit pour nous d’utiliser ces technologies pour améliorer nos process », témoigne Yann Bouju, responsable de projets réalité virtuelle et augmentée au sein de la DCNS qui dispose de cinq salles d’immersion pour la phase de conception des navires afin de valider des choix avec les clients ou pour assister les opérateurs en production. « Nous avons une problématique de gestion d’une grande masse de données techniques. L’intérêt majeur de ces solutions est la compréhension partagée car en réalité virtuelle, à l’inverse des plans 2D ou 3D, on voit tous la même chose et on partage la même information ».
Le constructeur naval, qui a démarré il y a plus de dix ans avec la RV, entend la mettre à profit au profit de la maintenance et de la formation à la navigation. Mais Yann Bouju attend le développement d’une « technologie vraiment collaborative, qui permettra d’immerger simultanément plusieurs opérateurs »
Quant à la réalité augmentée, « le sujet est moins mature chez nous. Les systèmes de capture, de visualisation et les algorithmes sont complexes à maîtriser, surtout quand il faut gérer des contrastes de luminosité importants ». Le leader européen du naval de défense a toutefois testé dernièrement une application de RA permettant de visualiser et de contrôler l’état d’avancement du montage d’équipements sur un chantier de construction d’un navire.
Total : Se repérer sur les plateformes pétrolières offshore
Arnaud Gonquet, représentant de Total, reconnaît travailler depuis « pas mal de temps » sur ces solutions.
Pour l’heure, le groupe pétrolier s’en sert davantage pour former les opérateurs « à tout un tas de manœuvres ». «Nous avons quelques sujets de réflexion en RA notamment pour simuler un système de pompe sur notre site de Dunkerque », explique-t-il tout en manifestant un intérêt pour les lunettes de RA récemment présentés par l’Américain Daqri.
GRT Gaz : Former les techniciens de maintenance
Après quelques années de tests de plusieurs prototypes, la filiale d’Engie a failli abandonner avant de trouver une application plus convaincante, raconte Frédéric Guillou, chef de projet innovation de GRT Gaz : modéliser une installation-type qui sert à former les techniciens de maintenance à manipuler sans risques et sans se déplacer les différentes vannes via un casque immersif HTC Vive. « Nos agents sont répartis dans la France entière, et lorsque nous souhaitons les former, il faut les faire venir jusqu’à Compiègne, pendant 3 jours ».
Le responsable de l’innovation n’exclue pas d’affiner son module pour former au nouveau matériel, avant même qu’il ne soit réellement installé dans la réalité, voire simuler des pannes peu fréquentes, auxquelles les techniciens ne se forment actuellement que « sur le tas », dans l’urgence de la réparation.
Alstom Transport : Trois applications autour de la réalité virtuelle
« Nos premières expériences datent de 4 ans. On a fait quelques preuves de concept avec des partenaires puis on a choisi de maîtriser en interne nos process », introduit Éric Ribeyre, directeur logistique et supports chez Alstom Transport, l’un des géants mondiaux de l’infrastructure ferroviaire.
Le constructeur a développé trois applications autour de la RV : l’une permet d’évaluer des options techniques et des solutions (l’idée est d’éviter les modifications de dernière minute et les maquettes physiques). Une autre sert d’outil de promotion de ses offres (les clients visualisent leur futur train et choisissent les couleurs, les intérieurs et les options). La dernière est davantage un outil d’innovation : « c’est un laboratoire grâce auquel nous cherchons des fonctionnalités nouvelles afin d’aider au mieux l’ensemble des acteurs du cycle de développement de nos produits, du design à la maintenance en passant par l’industrialisation ».
Un marché en forte croissance mais…
Les contraintes sont encore nombreuses. Les industriels stigmatisent notamment les défauts de connectivité (le sans-fil est rare), les résolutions d’écran et de champs visuels (aujourd’hui limités à 100° pour la RV et 45° pour la RA). Mais aussi et surtout … « le manque de contenus » disent-ils en chœur.
Quant au coûts des équipements, même s’ils ont tendance à baisser, ils restent trop élevés, d’autant que les infrastructures ne sont pas forcément transférables dans tous les secteurs d’activité de l’entreprise, ni à tous les produits et services, et que l’absence de standards empêche l’interopérabilité entre les services et les matériels, signifie Frédéric Guillou, de GRT Gaz. Ce manque de standardisation entrave la compatibilité entre les produits, freine de nouvelles solutions et fait exploser les coûts.
Vers un standard commun
Les choses bougent néanmoins. Le 3 mars dernier, tous les grands acteurs de l’industrie de la réalité virtuelle et augmentée, à l’exception de Microsoft, s’est fédérée autour d’un standard commun, baptisé OpenXR.
Le 10 mai dernier, la Video Electronics Standards Association a également fait savoir qu’elle initiait un groupe de travail en vue de développer des standards pour la XR (l’eXtended Reality, terme qui regroupe RA et RV).
Quoi qu’il en soit, de par ses expertises dans l’industrie du jeu vidéo (forte dans la réalité virtuelle) et celle de l’animation, La France à un coup à jouer dans cette « grande immersion ». Pour les mêmes raisons, la région PACA aussi…
Adeline Descamps
Photo : Casque HoloLense ©DR
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RA et RV : Marchés souvent confondus et notions confondantes
« On a tendance à confondre la réalité virtuelle et augmentée. Certes, elles ont une filiation commune, dépendent des mêmes évolutions ou barrières techniques (HoloLense, écrans led, capture de mouvement, résolution des périphériques …), mais elles correspondent à des marchés, techniques et besoins et usages différents », explique Antoine Morice, docteur en sciences du mouvement, pour lequel il ne fait pas de doute que la RA est un marché à plus fort potentiel que la RV.
Pour faire simple, alors que la réalité virtuelle est de l’ordre de la simulation (univers visuel créé de toute pièce grâce à des images de synthèse), la réalité augmentée, elle, ajoute des éléments virtuels (texte, vidéo, photo, image animées, 2D ou 3D…) au réel. Si les équipements permettent de « rentrer » dans le monde virtuel, au lieu de simplement le regarder derrière un écran, ils diffèrent. Dans la RV, l’utilisateur porte un casque intégral qui trompe son cerveau pour le transporter dans un autre lieu, une autre époque. Avec la RA, il s’agit de lunettes ou d’un casque semi-transparent. Et demain, on parlera de réalité mixte, en somme une fusion du monde virtuel et réel.
Grâce à elle, deux ingénieurs équipés de casques pourront travailler sur le même objet 3D dans une pièce, tout en interagissant avec d’autres collègues ne portant aucun appareil. Mieux, ils pourront collaborer sur ce projet en temps réel avec cinq autres participants connectés à distance depuis l’étranger, qu’ils verront comme s’ils étaient là.
C’est la vision à cinq ans de Facebook, via sa filiale Oculus. Celle aussi de Microsoft avec HoloLens. Lors du CES 2017 de Las Vegas, Intel a présenté une mouture de son Project Alloy, qui permet de capturer l’image d’une pièce et de ses meubles, puis de les modifier en temps réel, et ce, avec deux participants interagissant dans le même environnement. Les premières commercialisations devraient intervenir dès cette année selon l’entreprise américaine
Parallèlement, les éléments virtuels pourront être contrôlés directement à mains nues, sans équipement spécifique, et la reconnaissance vocale viendra en renfort compléter naturellement l’équation. Le casque HoloLens de Microsoft gère déjà la commande vocale via Cortana, ainsi que les clics en l’air et autres commandes gestuelles. Les casques sauront également détecter la zone spécifique que regarde l’utilisateur pour mieux interpréter sa demande. Le casque de la start-up japonaise Fove dispose de ces capacités.
A.D